Dans la littérature française, la religion apparaît souvent sous le signe d’une nostalgie évanouie. Elle n’est qu’un héritage, lointain, poussiéreux, du temps où la population tout entière se recueillait au son de l’Angelus immortalisé par Millet. La littérature américaine contemporaine, au contraire, pullule de références religieuses actualisées, tant les Églises demeurent vivaces aujourd’hui outre-Atlantique dans les paysages et dans les esprits. Les baptistes sont parmi les plus souvent cités, ce qui n’a rien d’étonnant : le baptisme, branche importante du protestantisme mondial, représente en effet la principale dénomination protestante américaine. Sébastien Fath nous précise ici les caractéristiques et l’histoire de cette confession protestante.
Un quart de la population américaine
Dans American Tabloïd, le romancier James Ellroy, maître du polar, brosse par exemple le portrait en clair-obscur d’un certain Douglas Lockhart, du Ku Klux Klan, obsédé par les Églises baptistes noires. Dans la région de Meridien (Floride), il en a détruit plusieurs, avouant notamment avoir « bombardé l’église baptiste de la 16e rue à Birmingham, en Alabama ». Dans un Sud en proie aux haines racistes, maints portraits de Martin Luther King, pasteur baptiste, sont affublés, par les Blancs « ségrégationnistes », de « cornes de démon », comme à la sortie de la ville de Pucket. Sur fond de combat pour les droits civiques, ce sont deux Amériques religieuses qui s’opposent. D’un côté comme de l’autre, on trouve des baptistes. Dans les rangs du Ku Klux Klan comme dans ceux des militants de la ségrégation, des baptistes se sont signalés par leur militantisme, leur engagement en première ligne. Cette forte visibilité baptiste s’explique par le fait qu’environ un quart de la population américaine totale peut être rattachée au baptisme.
Des spécificités historiques
Cette confession protestante est caractérisée par trois marques distinctives. Sa théologie est généralement calviniste, pondérée par un très fort accent sur la nécessité de la conversion. Son ecclésiologie – sa conception de l’Église – est « congrégationaliste », c’est-à-dire qu’elle défend l’autonomie de l’assemblée locale. Elle est aussi « professante » : on entre dans l’assemblée sur profession de sa foi. Enfin, les baptistes se signalent par la pratique du baptême par immersion du converti. Le baptisme proprement dit est apparu au début du XVIIe siècle (vers 1608), autour du prédicateur anglais John Smyth, alors en exil à Amsterdam. Il naquit à la confluence de deux courants réformateurs du XVIe siècle : l’anabaptisme hollandais et le puritanisme séparatiste anglais. De ces mouvements, le baptisme a retenu la notion de séparation des Églises et de l’État, l’engagement professant des membres et le congrégationalisme. De l’anabaptisme plus particulièrement, le baptisme a conservé la logique du baptême du converti, mais en introduisant une spécificité, que les baptistes généralisèrent à partir de 1644 : le baptême par immersion, suivant l’habitude qui régnait, selon eux, à l’époque néo-testamentaire. Dès leur origine, les baptistes se sont signalés par leur pratique démocratique – le pasteur tient sa légitimité du vote de tous les membres –, leur souci de séparation des Églises et de l’État – qu’ils revendiquèrent en Angleterre et dans les colonies américaines – et leur attachement à la liberté de conscience et de culte. En Amérique du Nord, c’est à un baptiste, Roger Williams, qu’il revient d’avoir promulgué pour la première fois une entière liberté religieuse dans un texte constitutionnel – dans la colonie du Rhode Island qu’il créa en 1638 – texte dont s’inspira, plus tard, la Constitution des États-Unis.
Du XVIIe siècle au début du XXIe siècle, un baptiste est un chrétien engagé, c’est-à-dire un croyant qui professe sa foi et s’efforce de témoigner, dans le monde où il vit, de sa différence religieuse. Il existe un ethos baptiste – traduction comportementale d’une éthique – dont Max Weber avait déjà assez finement saisi certaines spécificités, à l’entrée du XXe siècle. On ne naît pas baptiste, on n’entre pas dans une Église baptiste par le baptême du nourrisson, on devient baptiste par conviction forte, par décision personnelle. L’identité religieuse choisie est appelée à se traduire par un impact biographique fort. Sans témoignage personnel de cet impact ni baptême par immersion, on ne peut être membre d’une Église baptiste. L’assemblée baptiste est une Ecclesia militans : c’est le choix et l’engagement individuels qui sont mis en avant.
Une dimension militante
Entre les principes et la pratique, il existe évidemment un décalage, que l’historien et le sociologue peuvent cerner. Le poids des différents contextes socioculturels d’implantation du baptisme joue par exemple son rôle. Le baptisme du Sud des États-Unis, région où il règne parfois de manière quasi hégémonique, a dessiné de véritables petites « chrétientés locales » où l’adhésion individuelle a tendance à s’estomper derrière les formes d’un encadrement « mécanique », automatique. L’accent sur des assemblées locales soudées et conviviales peut parfois développer aussi, au lieu d’une culture du débat, des replis fusionnels, unanimistes, et la dérive populiste peut dès lors menacer, voire alimenter, dans des cas extrêmes, des groupes du type Ku Klux Klan… La méfiance pour les institutions supra-locales tend enfin parfois à générer, à la place d’une « autorité » instituée et contractuelle, des effets de « pouvoir » informels puissants, qui constituent une menace possible sur le fonctionnement démocratique. Il n’en reste pas moins que l’accent baptiste, obstinément revendiqué, sur le choix individuel s’avère singulièrement en affinité avec la modernité et ses prolongements. Par ailleurs, la dimension militante, qui valorise davantage les certitudes de la foi que le doute, répond également à un besoin de repères particulièrement sensible aujourd’hui, dans des sociétés contemporaines où le flottement des repères génère angoisse, hésitation et fatigue. Ces deux dimensions – valorisation du choix personnel et d’un engagement fort – expliquent en partie pourquoi le baptisme a connu, entre le début du XIXe siècle et l’entrée du XXIe siècle, un développement considérable à l’échelle mondiale. De petite minorité protestante vers 1800, le baptisme est devenu un des principaux « poids lourds » du protestantisme actuel.
Quelques chiffres…
Les statistiques baptistes les plus souvent citées sont celles de l’Alliance baptiste mondiale, World Baptist Alliance, structure baptiste transnationale très souple, créée en 1905 au nom du témoignage chrétien et de la défense de la liberté religieuse dans le monde. Cette Alliance regroupe la majorité des baptistes de la planète, mais on estime à près de 20 % le nombre des baptistes non-affiliés, au nom, le plus souvent, de convictions fondamentalistes, anti-œcuméniques. L’Alliance baptiste mondiale compte environ quarante-trois millions de membres aujourd’hui. En ajoutant les non-rattachés à l’ABM, on aboutit à plus de cinquante millions de fidèles. Mais ces statistiques, qui sont celles des baptistes eux-mêmes, ne tiennent aucun compte des fidèles non-baptisés par immersion, dont les adolescents et les enfants socialisés dans les Églises. D’où l’habitude de multiplier les statistiques restrictives données par les Églises par deux et demi ou trois. Compte tenu de ces éléments de pondération, on peut estimer la population baptiste mondiale, en 2002, entre cent vingt-cinq et cent cinquante millions de personnes, dont plus de cinquante millions de membres baptisés par immersion.
Les baptistes aux Etats-Unis…
La répartition géographique des baptistes dans le monde est inégale. La plus forte concentration baptiste est nord-américaine. Dans le Sud des États-Unis – que l’on désigne parfois de l’appellation Bible Belt – un habitant sur deux se rattache au baptisme. Les temples baptistes y font au moins autant partie du folklore qu’en France, les clochers paroissiaux catholiques. L’ancien président Bill Clinton, baptiste de l’Arkansas, et son vice-président de l’époque, Al Gore, baptiste du Tennessee, se réclament de cette étiquette protestante. Leurs coreligionnaires Jimmy Carter et Harry Truman, avant eux, ont occupé les plus hautes fonctions à la Maison Blanche. D’autres acteurs majeurs de l’histoire américaine récente sont baptistes, à commencer par le prix Nobel de la paix, Martin Luther King (1929-1968), ou l’évangéliste Billy Graham, cité à quarante-trois reprises dans les sondages annuels Gallup désignant les dix personnalités les plus aimées des États-Unis. Le télévangéliste ultra-conservateur Pat Robertson, animateur de la New Christian Right, ou Nouvelle Droite chrétienne, est également d’origine baptiste… tout comme la chanteuse pop Britney Spears !
… et dans le monde
En dehors des États-Unis, le baptisme est bien représenté en Russie, où il constituerait le second groupe confessionnel chrétien derrière l’orthodoxie et devant le catholicisme. Sur les autres continents, le baptisme est plus discret, mais développe régulièrement sa présence, notamment en Afrique et en Amérique du Sud, mais aussi en Europe de l’Est avec un essor spectaculaire en Ukraine. En Europe occidentale, c’est en Angleterre que l’on dénombre le plus de baptistes – plus de deux cent mille membres baptisés, soit plus de six cent mille personnes – devant l’Allemagne – environ trois cent mille personnes – et la Suède – plus de soixante-dix mille. En France, ils représentent au total un groupe d’environ quarante mille personnes. Dans un monde globalisé où prédominent les figures du « pèlerin » et du « converti », il est de moins en moins rare de croiser sur son chemin ces communautés baptistes, souples et prosélytes.
Article de Sébastien FATH, historien, chercheur au CNRS.